je t'attendais

Publié le 9 Juin 2015

Mes songes m’étaient étrangères depuis trop longtemps déjà. Mon visage était couleur du temps. Je voyais froid, je sentais noir. Les yeux amers, je déambulais la ville d’un pas décidé. Non pas qu’une motivation particulière m’avait accaparée, mais plutôt car je n’aurais su faire autrement. Je laissais les pas légers et vagabonds aux flâneurs et aux rêveurs. Je n’appartenais pas à ces catégories. Ni à aucune autre d’ailleurs. Je préférais m’abstenir de toute identification. Je ne faisais partie de rien et n’y aspirais pas. À quoi bon ? Pour le temps qu’il restait de toute façon. La vitesse de mes pas faisait plutôt office de fugue face à ce qu’était devenu mon monde. Le vide s’était approprié tout ce qui restait de mon être. Jamais je n’aurais pensé que du vide puisse peser aussi lourd.

J’étais en recherche constante. Tu en étais l’objet. À force d’y penser, je te voyais partout, à travers tous. Je me perdais dans toutes les fausses lueurs d’espoir de ton potentiel retour. Mais ce n’était jamais toi. Mes visions ne se caractérisaient que par leur fugacité. Je percevais en fait que ce qui restait de moi. De mon esprit. Celui dont tu avais pris entière possession et hanté depuis. Les déceptions s’accumulaient au même rythme que les passants défilaient la ville inondée. J’en faisais partie, physiquement parlant. C’est étourdissant le nombre de personnes que l’on croise lorsque l’on en cherche une seule. Abattue par le désarroi, je continuais tout de même ma marche contre-courant dans la foule étouffante qui ne comprenait rien, qui ne me connaissait pas. Tu étais le seul à me connaître, le seul à me comprendre mais paradoxalement aussi, le seul absent. La vie est mal faite. Ou alors trop bien. Je n’en suis toujours pas certaine aujourd’hui. En fait, je ne suis sûr de rien, et n’ai plus d’opinion. Mon âme est désormais constituée de cendres ; tu étais mon feu. J’étais éteinte depuis assez longtemps pour avoir oublié tous sentiments de chaleur. Le bonheur, la joie et le plaisir devaient me trouver bien sévère. Avec raison.

Je subissais chaque nouveau regard comme un condamné profite de son dernier repas : avec désir et dégout à la fois. J’avais toutefois la conviction de ton retour. En attendant, je survivais. Chaque jour pareil, le fardeau de la vie m’apparaissant continuellement plus lourd. Je n’étais pas dépressive, seulement désespérée. Désespérée au sens propre du terme, sans emphase ni grande tragédie, seulement démunie de tout espoir et pourtant gouvernée par un unique : toi. Seulement mon désespoir n’affectait pas ma lucidité et je te savais parti à jamais. Même quand tu reviendrais, tu ne serais plus mien. Je considérais ma situation. Malgré un nombre incalculable de visites, je m’étonnais toujours de voir comme est mystérieux le pays des larmes. Je crois désormais connaître la raison pour laquelle certains refusent les amours réels : il n’existe aucune séparation possible entre l’amour inconditionnel et la souffrance éternelle. Ton retour, comme ta présence dans ma vie, n’aurait été qu’éphémère, ludique, irréelle ou pugnace. Je ne sais pas non plus. Le pire dans ma situation n’était cependant pas ton absence mais bien ma compréhension de mon incapacité à m’en remettre. Je m’assistais vers cette course sans fin, sans force ni lumière. Je me dirigeais en sens contraire et même l’afflux inexistant d’énergie ne pouvait m’arrêter. À tous les degrés possibles. Fumer ne nécessitait plus de feu, dormir ne me comblait jamais de sommeil : la mort venait d’elle même en agrandissant ses pas constamment. Son silence m’inspirait particulièrement. Je le méditais longuement. Je ne saurais dire, ne saurais décrire. Je la laissais venir, considérant cette option profitable. La seule qui me restait d’ailleurs. L’omniprésence de ma disparition, l’absence d’avenir, me poussait à me projeter dans le passé. Comment est-il possible de se rendre là ? Il faut tout de même préciser, le désordre dans ma vie n’était rien quant à celui dans ma tête.

Je me vois encore arriver à l’appartement, lourde, arracher mes vêtements pour me couler sous un bain intensément chaud. Fuir encore et toujours la tête dans l’eau sous silence. C’était alors encore ma définition de la liberté, être apte à s’évader. Trop vite je me rendis compte que ce à quoi j’essayais d’échapper était à l’intérieur. Enfoui. Si loin que je ne pouvais l’atteindre, seulement le subir. Je ne sais pas pourquoi j’en parle. Aucune de ces actions ne faisait de sens. Je faisais tout cela par habitude, pour me conformer aux normes. Hélas, la normalité n’existe pas et il y a certaines choses auxquelles on ne peut s’habituer. Je le savais pertinemment. Je ne voulais simplement qu’on ne me pose pas de questions ; je n’avais même pas envisagé qu’il pouvait y avoir des réponses. Je me retrouvais alors encore, fidèle, entièrement tournée vers toi. Mon existence était devenue misérable en fonction de la tienne, prestigieuse. Nos oppositions étaient tellement majeures que je les considérais poétiques, toi névrosantes.

Arrivée chez moi, je t’attendais. Aujourd’hui, je savais. Tu viendrais. Une excitation m’aurait probablement envahie si j’en avais encore été apte. Hélas, néant.

Accoudée contre la fenêtre le regard perdu dans l'horizon je guettais ta venue comme si c'était la dernière chose que je subirais. Les souvenirs défilaient dans ma tête mais je les ignorais. Vient un temps ou la joie est trop lourde à supporter même en souvenir. Tous les passants m'étaient noirs et je recherchais du blanc. Je savais que même dans la neige, la pureté de ton âme m'éblouirait. Tu étais aux Dieux ce que j’étais au Diable. Je le savais pertinemment et faisais tout de même mine de l’ignorer. Les paupières lourdes, je luttais contre mon corps, contre ma dernière protection. Je savais très bien que l'unique sentiment de ta présence serait amplement suffisant pour démolir la mystification qui composait derechef mon âme. Le bleu de tes yeux allait rendre les miens intensément noirs et jamais je ne verrai plus. Les couleurs n'existaient qu'en ta présence. C'est ta présence aussi qui les soustrairaient de ma vie. Paradoxalement, fidèle à toi-même. À jamais. Pour toujours. Comme l’éternité de notre post-amour illusoire. L'emphase de ma pense reposait toujours sur ma fenêtre quand tu t'immisças dans le décor. Mon corps se saisit d’un coup. Je ne me rappelais plus de la puissance des sensations. C’est étrange de vivre et mourir à la fois ; d’autant plus lorsqu’on en est conscient. Comme prédit, tu étais si coloré et complet que je te voyais. Même parmi la neige et la brume tu brillais. La lourdeur du décor divergeait avec ta finesse. Comme prédit, comme toujours. Pour jamais. Tout ce que tu dégageais. Tout ce que tu étais. Tout ce que j'aimais. Je le voyais mais ne pouvais plus l'atteindre. Tu approchais. Ta manière de regarder trois fois en tournant la tête avant de traverser. De sauter plutôt que de descendre la chaine de trottoir. Encore plus. De balancer tes bras gracieusement et de licher tes lèvres en regardant le ciel. Ton sourire toujours plus prononcé d'un côté. Même ton visage est un antipode de lui-même. Tu arrivais. Je prévoyais tes trois petits coups routiniers à ma porte. Je croyais que je te connaissais par cœur et analysais le sujet. Je ne faisais que le croire. Je laissais mes paupières se fermer et profitais de ce que je croyais être mes dernières secondes de sérénité. Mais tu ne cognas pas à ma porte. Tu entras.

Tout n’est qu’imposture.

Tout venait de changer.

Rédigé par elle

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